Résumé:
Depuis une vingtaine d’années l’émergence de bassins de production maraîchère par la mobilisation
des eaux souterraines est observée dans le Sahara algérien. En réponse à une crise hydraulique,
l’ennoyage des palmeraies alimentées par la nappe phréatique (les ghout), les agriculteurs se sont
orientés vers la culture de la pomme de terre, irriguée par des petits pivots artisanaux. Le département
d’El Oued est ainsi devenu le premier producteur de pomme de terre dans le pays et a produit près de 1
million de tonnes de pomme de terre en 2017, soit 35% de la production nationale pour un montant
estimé à 50 milliards DA. La mise en place et l’utilisation massive de 35 000 pivots irriguant chacun
près de 1 ha, élaborés par des artisans locaux en recyclant des matériaux locaux interpelle quand on
considère l’échec du pivot conventionnel dans le Sahara, décrit dans la littérature. Dans cette
recherche, nous analysons ce dispositif hydraulique pour proposer des voies d’amélioration adaptées
au contexte biophysique et socio-économique local, à travers une principale question : comment
concevoir et instrumenter une démarche d’ingénierie venant en appui aux acteurs de terrain pour
améliorer les performances d’irrigation ?
Notre démarche s’articule autour de trois axes. D’abord nous avons analysé comment le pivot a
contribué au remodelage agraire, car une multitude d’agriculteurs et d’investisseurs se sont engagés
dans la production de pomme de terre sous pivot. Nos analyses montrent que d’une part une
agriculture entrepreneuriale, très rentable mais aussi risquée, s’est mise en place, et que, d’autre part,
les Soufi ont puisé dans leur répertoire paysan pour atténuer ces risques, en particulier par une
diversification agricole. Puis nous avons analysé le processus d’innovation incrémentielle du pivot, en
montrant comment en dix ans les différents acteurs locaux (les artisans dans leur diversité, les
commerçants et les agriculteurs) ont mis en place un pivot miniaturisé, peu couteux et adapté aux
exigences des utilisateurs. Son succès est basé sur l’enrôlement d’un grand nombre d’acteurs devenus
« alliés » dans ce qui est devenu le réseau sociotechnique du pivot artisanal. Enfin à travers une
analyse des performances hydrauliques in situ et en laboratoire, tout en intégrant l’étude des pratiques
des agriculteurs, nous avons proposé des voies d’amélioration de ces performances, qui tiennent
compte des acquis de plus de vingt ans d’innovation locale dans le Souf. Finalement nous avons
montré que la performance hydraulique du dispositif peut être améliorée, à condition que l’ingénieur
rentre dans un processus de dialogue et négociation continu avec les acteurs de terrain.